La France va-t-elle pouvoir retrouver des couleurs? Lundi, après la chute du gouvernement de François Bayrou, Emmanuel Macron a dû rapidement choisir un premier ministre. Sébastien Lecornu, membre de Renaissance, se retrouve donc à Matignon, sous la menace d’une censure.
Par Adriel Bereby
Lundi 8 septembre, 364 députés ont majoritairement refusé d’accorder la confiance de l’Assemblée nationale à François Bayrou, provoquant ainsi la chute de son gouvernement. Sébastien Lecornu devient donc le cinquième Premier ministre lors du second quinquennat d’Emmanuel Macron, ce qui en fait un nombre record pour l’histoire française. « Le problème de fond, c’est l’absence de majorité, l’éclatement du paysage politique et des forces politiques qui n’arrivent pas à s’entendre » analyse Dominique Andolfatto, professeur de science politique à l’université de Bourgogne. Bien que Macron souhaitait choisir son premier ministre rapidement, de nombreuses options s’offrent à lui. Une dissolution complète de l’Assemblée nationale, un premier ministre de gauche ou de droite : tous ces choix auraient pu inciter Emmanuel Macron à prendre davantage de temps pour faire son choix. Le lendemain, l’information tombe, Sébastien Lecornu succède à François Bayrou et compte bien y rester jusqu’en 2027, date de la prochaine élection présidentielle. « Il va falloir des ruptures, et pas que sur la forme, et pas que dans la méthode, des ruptures aussi sur le fond. On va y arriver. Il n’y a pas de chemin impossible » a expliqué Sébastien Lecornu lors de sa passation de pouvoir avec François Bayrou.
Membre du parti des Républicains en 2017 avant de se rallier à Renaissance la même année, Lecornu s’était en 2012 publiquement opposé au mariage pour tous, ainsi qu’à la GPA et à la PMA. Des ressemblances plus que manifestes avec le discours du Rassemblement National de ces dernières années. « On peut parler de crise de gouvernabilité en France parce qu’on se retrouve avec une Assemblée morcelée en 3 blocs qui semblent irréconciliables » avance Robin Richardot, éditorialiste et analyste pour le journal Le Monde.

Le RN en embuscade
Depuis 2022 et le second tour de la présidentielle, Marine Le Pen et le Rassemblement national grimpent dans les sondages, jusqu’à devenir le parti politique qui recueille le plus de votants aux dernières élections législatives, sans pour autant obtenir la majorité à l’Assemblée. « En cas d’élections, les résultats seraient plutôt à l’avantage des opposants à Macron. La plus forte et la plus unie, c’est celle du RN» nous explique Dominique Andolfatto. À la suite de la chute du gouvernement de Bayrou, le parti d’extrême droite tout comme La France Insoumise souhaitent voir Emmanuel Macron être destitué de ses fonctions. Le Rassemblement national, était plus que favorable à un retour aux urnes pour rebattre les cartes à l’Assemblée tandis que LFI était encore dans le flou quant à renvoyer les citoyens français à voter. « François Bayrou vient d’annoncer la fin de son gouvernement, miné par son immobilisme satisfait. Jamais le RN ne votera la confiance à un gouvernement dont les choix font souffrir le peuple français » a déclaré Jordan Bardella sur son compte X. Avant cela, La France Insoumise est très claire sur le fait qu’à la moindre décision prise par Sébastien Lecornu, les députés insoumis voteraient pour une motion de censure. Pour les députés du RN, ils attendent de voir et d’analyser les premières idées et propositions de l’actuel Premier ministre. Une attente due à son passé qui le rapproche de la droite républicaine. Lecornu a été aperçu à de nombreuses reprises dans des diners où des membres du RN se tenaient à ses côtés. « Il est totalement impossible d’avoir un gouvernement et donc, il est logique que tous les gouvernements, petit à petit, disparaissent » éclaire Henri Sterdyniak, économiste en science politique à Science PO.

Suite à l’alliance entre le camp présidentiel et les partis de gauche, Marine Le Pen et les siens se sont vu pour la deuxième fois consécutive prendre la porte tout près du but. À la différence que cette fois-ci, ce n’est pas 34% que la présidente du parti a réalisé, mais bien 41,5%. Un nombre important pour un parti qui n’avait jamais obtenu ces résultats. « Il faudra une personnalité forte et cette personnalité forte, jusqu’à présent, on ne l’a pas » résume Henri Sterdyniak. C’est donc aujourd’hui plus que jamais que le RN peut espérer un sixième nouveau premier ministre qui favoriserait encore plus une mise en place d’un Premier ministre d’extrême droite. Pour rappel, jamais un adhérent issu du Rassemblement national n’a été nommé à la tête de Matignon.
Une instabilité vraiment utile pour le RN ?
En mars 2025, Marine Le Pen est condamnée pour avoir participé à un système sophistiqué de détournement de fonds européens, connu sous le nom de « National Front assistants affair ». Le tribunal de Paris établit qu’elle a mis en place de faux contrats pour rémunérer des collaborateurs du parti, détournant environ 2,9 à 4 millions d’euros. « Cette instabilité renforce en partie du RN qui bénéficie beaucoup d’une volonté de dégagisme des électeurs » soulève Robin Richardot. Une décision qui pour l’instant lui interdit de se présenter aux prochaines élections présidentielles et pénalise très fortement le parti qui comptait énormément sur elle. Un appel de sa part est prévu pour le 13 janvier 2026. Le verdict qui tombera dans l’été suivant le procès permettra au parti d’extrême droite de prendre place dans une campagne présidentielle avec l’Élysée comme objectif.

Mais alors pourquoi cette instabilité à Matignon favorise le Rassemblement National ? Plus les premiers ministres issus du camp présidentiel se font censurer, plus la possibilité d’inaugurer un premier ministre qui vient d’un autre parti est plausible. Toutes les crises ministérielles depuis trois ans renforcent l’image d’un pouvoir fragilisé et impuissant. L’argumentaire du RN, qui se présente comme une alternative crédible face à des majorités jugées « ingouvernables » est ainsi alimenté de jour en jour. Les scores de Marine Le Pen en 2022 montrent qu’une partie croissante de l’électorat est prête à franchir le pas. Le RN souffre d’un manque d’expérience réelle au pouvoir. Ses rares élus locaux (maires, régionaux) ont montré des limites dans la gestion. Ses propositions économiques et européennes suscitent encore des doutes dans une partie de l’opinion et des élites administratives. L’affaire judiciaire de Marine Le Pen sur les fonds européens pourrait fragiliser davantage sa stature. Oui, l’instabilité actuelle affaiblit les partis traditionnels et nourrit l’idée qu’« on a tout essayé sauf eux », mais la capacité du RN à apparaître comme un parti de gouvernement dépend de sa faculté à rassurer sur l’économie, l’international et ses alliances au Parlement. Le vrai test sera l’échéance présidentielle de 2027. Entre promesse de rupture et nécessité de gouverner, le RN sera confronté à ses propres contradictions.
Adriel Bereby