Après la démission de François Bayrou, Emmanuel Macron a rapidement nommé Sébastien Lecornu à Matignon, un pari risqué qui s’inscrit dans un climat d’instabilité politique marqué par le départ de plusieurs Premiers ministres depuis 2022.
Par Lucie Kaprielian
Une nomination éclair. Sébastien Lecornu, ancien ministre des Armées, a été nommé mardi 9 septembre Premier ministre par l’Élysée après la démission de François Bayrou. « Emmanuel Macron avait attendu près de deux mois pour nommer Michel Barnier, plus d’une semaine pour nommer François Bayrou et cette fois-ci il a nommé Sébastien Lecornu en 24 heures », rappelle Luc Gras, politologue et médiateur. Un choix rapide qui est pour lui le signe que le président souhaite répondre à la situation de crise, en redonnant rapidement un chef de gouvernement au pays. Une situation de crise sans précédent, du jamais vu dans le paysage politique français. François Bayrou, Premier ministre pendant 270 jours, a assisté à la chute de son gouvernement après avoir perdu le vote de confiance (364 voix contre, 194 voix pour) lundi 8 septembre, une grande première dans l’histoire de la Vème République. Plus encore, l’arrivée de Sébastien Lecornu est marquante dans le sens où il devient le cinquième Premier ministre depuis le deuxième mandat d’Emmanuel Macron et le septième depuis sa première élection en 2017.

Un déséquilibre au sein du gouvernement
Naviguer sans majorité absolue, avec des gouvernements qui ne cessent de se faire renverser, voilà le défi de taille qu’Emmanuel Macron doit confronter. Dans un contexte d’instabilité politique durable, l’Élysée enchaîne les Premiers ministres avec des mandats courts : Elizabeth Borne a tenu un an, Gabriel Attal sept mois, Michel Barnier a effectué le plus court mandat avec trois mois et François Bayrou en a compté huit. « Ce sont les conséquences d’une situation impossible qui a été créée par la dissolution de 2024 », note Lionel Paoli, éditorialiste politique chez Nice-Matin avant d’ajouter que : « Cette pagaille pour laquelle Macron prétend trop chercher une solution, c’est une pagaille qu’il a lui-même créée ». Depuis sa réélection en 2022, Emmanuel Macron gouvernait sans majorité absolue. Or, à la surprise générale, le président a annoncé en juin 2024 la dissolution de l’Assemblée nationale. Cette décision intervenait au moment des élections européennes après que son parti Renaissance s’est incliné face au Rassemblement national. Depuis, la France est plongée dans une impasse politique : « Dès lors, en l’absence de majorité absolue ou même relative, il est face à un tripartisme, qui laisse peu de marge d’action, et c’est ce qui fait que nous avons connu en quelques mois, quatre Premiers ministres », indique le politologue. Pour rappel, la dernière dissolution date de 1997 sous la présidence de Jacques Chirac. Elle s’était terminée par la victoire de la gauche socialiste menant à la nomination de Lionel Jospin à Matignon.

L’ascension de Sébastien Lecornu
« Avec Michel Barnier, il était allé chercher une personnalité politique qui n’appartenait pas à son parti d’origine, avec François Bayrou il avait choisi un allié historique, avec Sébastien Lecornu, il arrête le nom d’un fidèle », analyse le politologue. C’est un homme qui travaille dans l’ombre. Peu connu de l’opinion, discret, c’est dans les coulisses qu’il construit son influence. Sébastien Lecornu, 39 ans, « c‘est vraiment le fidèle entre les fidèles » du président : issu de la droite, ancien LR, devenu un pur macroniste. Aux côtés d’Emmanuel Macron depuis 2017, il est passé par plusieurs ministères : d’abord secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire de 2017 à 2018, il est devenu ministre chargé des Collectivités territoriales (2018-2020), puis ministre des Outre-mer (2020-2022) et enfin ministre des Armées (2022-2025). Reconnu pour ses qualités de négociateur, il a réussi à faire adopter la loi de programmation militaire doublant le budget des Armées, l’un des rares textes qui n’a pas été adopté au 49.3 en 2024. « C’est pour ça, j’imagine, qu’il a été nommé. C’est parce que pour Macron, c’est quelqu’un qui sait discuter, qui est respecté par tout le monde », estime Lionel Paoli. Pourtant, certaines choses ne s’oublient pas. Après sa nomination, son passé le rattrape et les polémiques surgissent, rappelant d’anciennes déclarations, notamment celles où il s’opposait aux mariages pour tous en 2012 ou encore en 2015 quand il confirmait être hostile à la PMA et à la GPA, propos sur lesquels il est revenu deux ans plus tard, évoquant qu’il a « beaucoup cheminé sur ces sujets ». En dehors de ses prises de positions passées, Sébastien Lecornu a récemment fait l’objet d’une enquête pour « favoritisme, prise illégale d’intérêt et recel » dans l’attribution de deux expositions photos envers l’ancien présentateur du journal de TF1, Jean-Claude Narcy en 2022 lorsqu’il était ministre des Outre-mer.

Le « fidèle des fidèles » à Matignon comme dernier recours ?
Un pari risqué pour Emmanuel Macron qui mise sur Sébastien Lecornu pour sa capacité à dialoguer avec les parlementaires, lui demandant ainsi de : « consulter les forces politiques représentées au Parlement en vue d’adopter un budget pour la nation et bâtir les accords indispensables aux décisions des prochains mois », rapporte le communiqué de l’Élysée. Matignon ne pourra proposer son gouvernement qu’à l’issue de ces discussions. Par ailleurs, après la démission de Michel Barnier en décembre 2024, le nom de « Lecornu » était sur la liste du chef de l’État pour le remplacer. « C’était déjà l’idée d’Emmanuel Macron en décembre dernier. Celui qui lui paraît le plus fin, le meilleur négociateur, qui a l’avantage aussi […] il n’est pas marqué dans l’opinion. Les gens ne sont ni pour ni contre. Ils ne le connaissent pas. » justifie l’éditorialiste de Nice-Matin. Son choix s’est finalement porté sur François Bayrou, chef du MoDem, pour son expérience au gouvernement. Il a été plusieurs fois ministre, ancien candidat à la présidentielle et un soutien du macronisme. « Homme discret », qui « s’entend bien avec tout le monde », Sébastien Lecornu a su gravir les échelons. Son atout ? C’est qu’il est peu, voire pas connu de l’espace public. Son handicap ? C’est qu’il est un proche du président. Un aspect qui, au moment de sa nomination, a fait réagir les parties adverses : Jean-Luc Mélenchon a de nouveau réclamé la démission d’Emmanuel Macron, dénonçant « une triste comédie », Mathilde Panot, présidente du groupe LFI, a, elle, évoqué la censure. Si Bruno Retailleau s’est félicité que le Premier ministre ne soit pas socialiste, du côté de l’extrême droite, Marine Le Pen a écrit sur X que : « le Président tire la dernière cartouche du macronisme, bunkerisé avec son petit carré de fidèles. Après les inéluctables futures élections législatives, le Premier ministre s’appellera Jordan Bardella ». Toujours sur X, le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, a réagi : « Avec la nomination de Sébastien Lecornu à Matignon, Emmanuel Macron s’obstine dans une voie à laquelle aucun socialiste ne participera. Sans justice sociale, fiscale et écologique, sans mesure pour le pouvoir d’achat, les mêmes causes provoqueront les mêmes effets ».

Ces positions tranchées annoncent déjà les nombreuses batailles que le nouveau Premier ministre va devoir mener si ce dernier souhaite perdurer. Sébastien Lecornu va devoir réussir là où ses prédécesseurs ont échoué : parvenir à mettre tout le monde d’accord en trouvant un terrain d’entente, rétablir l’ordre au sein d’une Assemblée fracturée et stabiliser une situation qui s’enlise de plus en plus. Le nouveau locataire de Matignon a remercié le président pour sa « confiance » et a salué le « courage » de son prédécesseur, reconnaissant la complexité de la tâche qui l’incombe. Pour Lionel Paoli, les gens se révèlent aussi dans l’épreuve. « On verra ce que vaut vraiment Lecornu quand il va être confronté au blocage du pays s’il a lieu dans une semaine avec les syndicats, aux tensions politiques quand il va être apostrophé par la gauche et par la droite. C’est là qu’on va voir exactement ce qu’il a dans le ventre. Et s’il arrive à s’en sortir, […] véritablement, honorablement, sans se mettre les Français à dos, il aura gagné des galons importants parce que tout le monde pense que sa mission est impossible ».
Les scénarios politiques envisageables d’une mission impossible
« Ce n’est pas parce que les choses sont probables qu’elles sont certaines », rappelle l’éditorialiste. Faire passer le budget en évitant la censure est une chose, contenter tout le monde dans un contexte politique et économique aussi instable en est une autre. Et pour cause, il y a des lignes à ne pas dépasser et que Sébastien Lecornu va devoir négocier avec subtilité. En effet, la gauche (PS), tout comme l’extrême-droite (RN), ont chacun présenté leur contre-budget. Lionel Paoli explique que leurs propositions « n’ont absolument rien en commun. Ils sont même totalement antinomiques ». Le Rassemblement national propose un « contre-budget de rupture » notamment en lien avec l’immigration en remplaçant l’aide médicale d’État par une aide médicale d’urgence ou encore un rééquilibrage fiscal important avec la taxation sur les rachats d’action à hauteur de 33 %. De l’autre côté, le PS propose un budget alternatif « de gauche » avec l’abrogation de la réforme des retraites ou encore la taxe Zucman, une taxe de 2 % sur les patrimoines des plus grandes fortunes, c’est-à-dire de plus de 100 millions d’euros.

Comment Sébastien Lecornu va-t-il pouvoir procéder pour trouver le juste milieu ? Pour Luc Gras, « ce n’est pas une question de personne, c’est une question de programme […] La question, c’est : va-t-il s’ouvrir aux préoccupations des Français, relayées par les députés ou pas ? S’il ne fait aucun geste en faveur du pouvoir d’achat et face aux problèmes de sécurité, il risque d’une manière ou d’une autre d’être rapidement censuré ». L’objectif à court terme pour Sébastien Lecornu est clair : réussir à faire passer le budget 2026 et éviter la censure. Si « Sébastien Lecornu parvient à faire voter le budget, il est reparti pour un tour jusqu’à l’année prochaine, jusqu’au prochain budget », estime Lionel Paoli avant d’ajouter que « dans le pire des cas, [..] il y a une motion de défiance qui est signée par le Parlement et qui est votée par les députés et il saute. Et à ce moment-là, si jamais ça arrivait, Macron n’aurait plus qu’une seule cartouche qu’il s’est chargée à blanc : c’est qu’il nomme un Premier ministre socialiste en sachant très bien qu’il sera démis immédiatement par la majorité de l’Assemblée nationale. Mais, il pourra dire, j’ai essayé ». Si Sébastien Lecornu parvient à rester Premier ministre, son avenir dépendra de sa capacité à naviguer dans une instabilité politique aussi complexe. En revanche, si cette nomination échoue à nouveau, personne ne voudra être emporté dans le bateau qui coule. Le chef de l’État se retrouverait avec très peu de marge de manoeuvre, dont deux options : nommer un Premier ministre socialiste, ce qui constituerait une forme de cohabitation, ou procéder à une nouvelle dissolution, qui reste possible mais qui pourrait aussi lui être fatale politiquement. Dans tous les cas, cette nomination semble être le pari risqué d’un quinquennat à bout de souffle.
Lucie Kaprielian